Suprématisme blanc ?
Courte - et inconvenante ? - réflexion inspirée par l'actualité récente
Le "suprématisme blanc", c'est ce qui constitue d'après nombre
de chroniqueurs politiques avisés (on en trouve quelques-uns !)
le fond de commerce de Trump : laisser entendre que la race blanche étant
d'essence supérieure, elle peut s'autoriser à reléguer les
autres aux étages inférieurs de la société.
Retraversons l'Atlantique pour évoquer une question que l'on entend (ou
lit) assez souvent dans des propos avisés pour certains (mais pas pour
d'autres !!!) : Charlie serait-il anti-arabes ? Ma réponse est clairement "non", car répondre "oui" reviendrait à considérer
que Charlie est raciste, et il ne l'est pas. Mais n'oublions pas
que peu après le 11 sept 2001, sous la houlette de Philippe Val (qui
n'est pas raciste), Charlie a emboîté allègrement et sans la
moindre ambiguïté le pas des néo conservateurs américains lorsqu'ils
ont développé un discours et une stratégie politique qui ont
nourrit le terrorisme. Chaque fois qu'il était interpellé, ce
Val, dans la lignée des BHL, Finkelkraut et consorts pérorait
sur la guerre des civilisations, et s'embarquait sans complexes
dans les nébuleuses guerrières. Lorsque après les attentats de
2015 nous clamions "nous sommes tous Charlie", j'avais toujours
une petite lumière qui clignotait dans ma tête signifiant "sauf
quand ...".
Mais je voudrais aborder cette question sous un autre angle.
Lorsque je travaillais dans le cadre de projets de prévention de
la violence en milieu scolaire, j'avais souvent des demandes
d'enseignants de faire travailler les élèves sur les insultes.
Bien moins celle qui échappe sous le coup d'une montée soudaine
d'adrénaline que celles qui font partie du langage quotidien.
Les insultes banalisées. Sachant que les arguments moralistes
(respect de l'autre, "c'est pas bien de parler comme ça", ...)
étaient inopérants, je faisais travailler les élèves sur "les
mots qui font mal". Cela consistait à les amener à prendre
conscience, par le jeu théâtral, que certains mots que l'on reçoit nous font souffrir, nous
blessent, parfois profondément. Cette prise de conscience aidait
les élèves à en sortir.
D'où la question que je pose : des caricatures ne peuvent-elles
pas être des dessins qui font mal, qui peuvent blesser
profondément ? Bien sûr que non, me répondrez-vous peut-être,
c'est de l'humour, il faut le prendre au deuxième degré, et de
toutes façons, il n'y a pas à s'en soucier parce que rien ne
saurait justifier d'attenter à la liberté d'expression.
La liberté d'expression, qu'est-elle en fait dans une
perspective profondément humaniste ?
- elle n'est pas le droit de s'exprimer sans limites : dans le
Droit français, le délit de diffamation existe, et personne n'en
conteste le bien fondé.
- n'avons-nous pas une obligation morale de nous poser la
question de l'impact de nos expressions sur les personnes
auxquelles elles sont adressées ? Et de ne pas aller au-delà de
certaines limites, celles au-delà desquelles on mettrait des
personnes en souffrance ? Pour moi, cette obligation morale
existe et est une des clefs à la fois du bien vivre ensemble, et
des dynamiques collectives.
Qu'est-ce que l'esprit Charlie, de ce point de vue ? Derrière des propos qui sous le vocable "les cons" englobe tout ce qui
mérite d'être objet de moqueries de plus ou moins bon ou mauvais
goût, il y a me semble-t-il beaucoup d’ambiguïté. Une forme
d'humour, d'accord. Mais l'humour est-il transculturel ?
Toute forme d'humour, de "deuxième degré" est-il forcément
accessible à tout le monde, indépendamment de nos cultures ?
Personnellement, j'ai eu toujours beaucoup de mal à rire à
l'humour anglais ...
Parce que nous n'avons pas le même sens de l'humour du fait de
nos différences de culture, et aussi parce que nous n'avons pas
le même rapport au sacré, ne pouvons-nous pas admettre que les
caricatures publiées par Charlie Hebdo sont profondément
blessantes pour une partie de la population de confession
musulmane ?
J'imagine une réponse possible des Charlie : "s'ils sont trop cons pour
comprendre, tant pis pour eux". Cela ne me satisfera jamais,
parce que je décèle dans ce propos des accents de supériorité
culturelle. J'y vois surtout un code "petit bourgeois", immergé
dans l'entre soi "blanc du bon côté de la plaque", mais qui ne
se gêne pas pour aller titiller ceux qui sont ailleurs, et tant
pis si ça les dérange, tant pis si ça les blesse, ils n'ont qu'à
évoluer dans le bon sens, c'est à dire le nôtre, c'est à dire
entrer dans notre culture, etc ...
Des accents de suprématisme blanc ?
Alors, Charlie / Trump, même combat ? Non, bien sûr, mais ...
Claude
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